Les guichets automatiques de crypto sont souvent perçus comme des innovations modernes, permettant à tous d’acheter des actifs numériques tels que le bitcoin. Mais un côté bien plus sombre de cette technologie émerge au Canada. De Calgary à Toronto, des dizaines de victimes se voient arnaquées, leur argent retiré par des fraudeurs qui exploitent ces machines pour blanchir de l’argent. Le phénomène est mondial, mais le Canada se distingue par sa position précaire, comptant parmi les pays les plus touchés par ce type de fraude. Alors que les autorités sont conscientes du problème, les réponses restent insuffisantes, et les victimes, souvent vulnérables, continuent de souffrir en silence.
Une technologie détournée à des fins criminelles
Les guichets automatiques de crypto permettent à toute personne de convertir de l’argent en espèces en bitcoin ou autres cryptomonnaies. Une fois convertis, les fonds peuvent être envoyés immédiatement vers un wallet, souvent dans un autre pays, rendant ainsi difficile leur traçabilité. En théorie, ces machines facilitent l’accès à la crypto. Mais dans la réalité, elles sont devenues des instruments privilégiés pour les fraudeurs qui cherchent à blanchir de l’argent ou à tromper les victimes.

Photo : La Presse canadienne / JONATHAN HAYWARD
Brenda Smith, une retraitée de 76 ans vivant à Calgary, raconte comment elle est tombée dans une arnaque bien orchestrée. Lorsqu’on lui a demandé de déposer plus de 12 000 $ dans deux guichets automatiques de crypto l’année dernière, elle n’avait aucune idée de ce qu’était réellement une telle machine. Elle raconte : « Ils sont si convaincants et, malheureusement, j’étais vulnérable ». Brenda a perdu la totalité de son argent, sans jamais savoir où il est allé.
Les témoignages comme celui de Brenda sont de plus en plus fréquents, notamment parmi les personnes âgées ou les individus ayant des vulnérabilités cognitives. Ces fraudeurs ne cherchent pas seulement à dérober de l’argent ; ils exploitent également les faiblesses humaines pour mieux manipuler leurs victimes. Le cas de Brenda démontre à quel point ces fraudes peuvent être subtiles et traumatisantes.
Le mécanisme de la fraude
Le mode opératoire des fraudeurs est simple, mais extrêmement efficace. Un individu est approché, souvent par téléphone ou en ligne, avec des promesses de gains rapides ou d’une assistance financière. Les victimes sont ensuite invitées à se rendre à un guichet de crypto, où elles déposent de l’argent en espèces, souvent sans réaliser qu’elles convertissent leurs fonds en cryptomonnaie, envoyée directement vers un portefeuille numérique étranger. Cette transaction, rapide et anonyme, rend presque impossible la récupération des fonds.
Le Canada est actuellement le pays avec le plus grand nombre de cas de fraude par guichet automatique de crypto par habitant au monde. Une enquête menée par CBC News a révélé que le nombre de victimes et le montant des fonds blanchis continuent d’augmenter. En 2024, les pertes liées à ces guichets ont été estimées à 14,2 millions de dollars canadiens, et selon les experts, ces chiffres risquent d’augmenter de manière exponentielle dans les années à venir.
Les données alarmantes du Centre antifraude du Canada
Le Centre antifraude du Canada (CAFC) rapporte que les victimes de fraude via ces guichets ont signalé des pertes allant de quelques milliers de dollars à des sommes beaucoup plus importantes. Cependant, seules 5 à 10 % des victimes signalent effectivement ces arnaques. Cela signifie que le véritable montant des pertes est probablement bien plus élevé.

Photo : Radio-Canada / Paul Borkwood
De plus, des experts en crypto, comme ceux de TRM Labs, soulignent que ces machines sont largement utilisées pour le blanchiment d’argent. Les fraudeurs recourent à ces guichets pour transférer des fonds illicites en crypto, échappant ainsi aux contrôles traditionnels des systèmes bancaires.
Bien que les guichets de cryptomonnaie soient légaux au Canada, leur régulation reste floue et insuffisante. Le CANAFE (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada) reconnaît le rôle important de ces machines dans les fraudes et le blanchiment d’argent, mais la surveillance et les contrôles restent largement insuffisants. Les entreprises opérant ces guichets sont soumises à des régulations anti-blanchiment, mais aucune règle précise n’existe concernant les frais d’exploitation ou les limites de transaction.
Les autorités policières canadiennes, telles que la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ne semblent pas suivre de près les chiffres de la fraude liée aux guichets automatiques de crypto. Par exemple, même si les fraudeurs peuvent être identifiés et poursuivis, la majorité des arnaques ne sont pas signalées ou recensées de manière adéquate. Cette absence de suivi cohérent contribue à l’inefficacité de la réponse gouvernementale.
Quelles solutions pour contrer la fraude crypto ?
Face à la montée de ces arnaques, plusieurs solutions sont envisageables. D’une part, il est nécessaire d’intensifier la régulation des guichets automatiques de crypto. Une législation plus stricte devrait imposer aux opérateurs de se soumettre à des audits réguliers, de fixer des limites sur les montants pouvant être retirés et de renforcer les exigences de vérification d’identité des utilisateurs.
D’autre part, il est essentiel de promouvoir la sensibilisation et l’éducation des consommateurs. De nombreuses victimes ignorent encore l’existence de telles arnaques, et une campagne de prévention pourrait jouer un rôle clé dans la réduction de ce phénomène. Les autorités policières doivent également renforcer leurs capacités à identifier et à poursuivre les fraudeurs derrière ces escroqueries.
Les guichets automatiques de crypto, loin d’être une simple innovation technologique, représentent aujourd’hui un point de vulnérabilité majeur dans le système financier canadien. Tandis que les autorités tardent à réagir, des milliers de victimes, dont beaucoup sont vulnérables, continuent de subir des pertes financières considérables. Il est vital d’augmenter la régulation et la surveillance de ces machines tout en sensibilisant davantage le public. Sans une action concrète, la fraude continuera d’exploser, emportant avec elle des millions de dollars et la confiance des Canadiens dans les technologies financières émergentes.


